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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/133

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à la longue destiné à périr, ne se laisse pas évincer en quelques années ; il est plus facile d’en prohiber l’usage par des ordonnances que de lui substituer dans la pratique la langue littéraire officielle. Dans l’intervalle, la main qui, sous prétexte de leur ouvrir sur le monde une plus large fenêtre, ferme l’humble lucarne par laquelle leur arrivait la lumière, condamne à la nuit de l’ignorance des millions de créatures humaines.

Les différences de race, de dialecte, de caractère, qui distinguent les deux principales tribus russes, ne sont pas plus grandes que celles qui se rencontrent entre le nord et le midi des États de l’Occident dont l’unité, ancienne ou récente, est la mieux assise. Pour la race même, au nom de laquelle les ethnologues de l’école de Duchinski prétendent les séparer, il y a entre les tribus russes moins de distance qu’on ne l’imagine. Si le Grand-Russien a été plus mêlé aux Finnois, le Petit-Russien l’a été peut-être davantage aux Tatars dont ses princes de Kief ont recueilli des tribus entières, et ses Cosaques des steppes, de nombreux fugitifs ou compagnons d’aventures. Loin d’être en antagonisme naturel, le Petit-Russe et le Grand-Russe sont unis l’un à l’autre par des liens multiples, par la géographie qui ne permettrait guère au plus faible une existence isolée, par les traditions historiques et par des antipathies communes, par les intérêts, par la religion, encore la première puissance chez l’un comme chez l’autre, par la double parenté enfin de langue et d’origine. Ils se complètent mutuellement, et ils donnent à leur commune patrie cette complexité de caractère et de génie, dans l’unité, qui a fait la grandeur de tous les grands peuple de l’histoire.