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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/142

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de concert avec l’Autriche, dévorer toute l’ancienne Pologne, province à province et pour ainsi dire feuille à feuille.

Les Polonais ne doivent pas moins que les Russes redouter toute cession aux héritiers de Frédéric II. Le malheur de la Pologne est qu’avec toutes leurs brillantes qualités, avec leur noble esprit chevaleresque et leur généreux patriotisme, les Polonais ont, après comme avant les partages du dix-huitième siècle, montré peu d’esprit politique. À cet égard cependant leurs longues infortunes ne paraissent pas avoir été entièrement perdues pour eux ; ils sont devenus plus pratiques, plus positifs ; ils sont moins enclins aux grands rêves et aux chimères d’autrefois. Beaucoup comprennent que, pour leur nationalité, la domination russe est infiniment moins à craindre que la domination allemande, et que Varsovie ne saurait se leurrer d’échapper entièrement à l’une et à l’autre. La réunion de la Pologne russe à la Galicie autrichienne, suivant le songe de certains patriotes, n’est qu’une utopie dont la géographie suffirait à empêcher la réalisation. L’érection du « royaume du congrès » en état vassal ou confédéré de l’Allemagne, selon un projet, parfois mis en avant chez nos voisins, n’est qu’un décevant mirage derrière lequel se dissimule l’absorption germanique. Un cinquième ou sixième partage serait ce qui pourrait arriver de plus triste à la Pologne, elles patriotes doivent regretter qu’en 1815 la France ait fait repousser les propositions d’Alexandre I, et livré la Posnanie à la Prusse et à la germanisation.

Quand on regarde ce que l’histoire a fait de la Silésie, de la Posnanie, de la vieille Prusse, on peut dire que la domination russe est pour la Pologne de la Vistule, pour Varsovie et la Mazovie, la meilleure et peut-être la seule garantie contre la germanisation. Les Polonais, qui se déclarent irréconciliables avec la Russie, me semblent commettre une sorte de suicide national.

On le sent de plus en plus aux bords de la Vistule, et l’intérêt de l’avenir fait passer par-dessus les rancunes du