Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malléable tempérament slave. Je veux parler de cette facilité d’adaptation, de cette faculté de compréhension qui distinguent si éminement le Russe, et que Herzen désignait du nom d’acceptivité. Cet instinct d’imitation, ce talent inné d’assimilation, si frappant chez le Russe civilisé, a parfois été mis en doute pour l’homme du peuple[1]. Chez ce dernier même, il nous semble cependant en retrouver la trace dans la sphère technique, la seule d’ordinaire accessible au paysan, dans cette variété d’aptitudes du mougik qui lui rend tout ouvrage aisé, et lui permet souvent de faire dix métiers à la fois, dans cette souplesse enfin du soldat russe et du Cosaque, si vite prêts aux exigences les plus diverses de la guerre et de la paix. À demi-cachée et comme paralysée, chez l’homme du peuple, par la monotonie de l’existence, par la routine habituelle au paysan, par l’attachement aux anciennes coutumes ou par des préjugés à demi-orientaux, cette qualité nationale se déploie librement dans les hautes classes, chez le Russe émancipé des préventions populaires ; elle s’y épanouit dans toutes les sphères à la fois, dans les idées, dans les mœurs, dans la littérature, dans la langue même. À cet égard, comme à bien d’autres, le Russe est tout l’opposé de l’Anglais. La souplesse de son intelligence paraît sans limite, et cette aisance à tout s’approprier a pu faire obstacle au développement spontané de l’originalité nationale.

Avec ses inconvénients et ses avantages, cette flexibilité reste un des traits les plus accusés de l’esprit russe. S’il n’était toujours un peu arbitraire d’établir une hiérarchie entre des facultés simultanées et des penchants connexes, l’on pourrait dire que c’est là sa faculté maîtresse. Elle éclate partout chez lui, dans le caractère et le tempérament, dans l’intelligence de même que dans le corps et les organes, façonnés et assouplis par ces éprouvantes alternatives des saisons comme par une sorte de gymnastique, qu’ainsi

  1. Voyez par ex. M. Mackensie Wallace : Russia, Ire éd. ang., t. Il, p. 88.