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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/200

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sique occidentale, ce n’a jamais été un système tel que le pessimisme de Schopenhauer ou le positivisme d’Auguste Comte ; ce n’est pas une forme nouvelle du vieux scepticisme ou du vieux naturalisme. En philosophie, ce n’est guère qu’un matérialisme grossier et tapageur, presque dénué de tout appareil scientifique. En politique, c’est un radicalisme socialiste, fomenté par le despotisme bureaucratique et exaspéré par les rigueurs capricieuses d’un pouvoir sans responsabilité. Ce n’est pas un parti ; car sous ses étendards se rangent des révolutionnaires de toute sorte, autoritaires, terroristes, fédéralistes, anarchistes, mutualistes, communistes, qui ne restent d’accord qu’en ajournant après leur triomphe toute discussion sur l’organisation future[1].

Au milieu de toutes ses exagérations, à travers ses phases successives, le nihilisme n’a guère été que l’élève des révolutionnaires de l’Occident, un élève qui se flatte de dépasser ses maîtres et qui outre à plaisir leurs enseignements les plus téméraires. Le radicalisme russe peut, il est vrai, revendiquer un théoricien national, qui pour le talent, le caractère ou l’influence ne le cède à aucun de ses émules et coreligionnaires d’Occident. Ce législateur de l’utopie, ce n’est ni Herzen ni Bakounine, les deux proscrits, les deux agitateurs, si longtemps amis et associés, et si profondément différents par le génie et les sentiments, qu’en dépit de leurs aspirations communes, ils pourraient représenter chacun l’une des faces du radica-

  1. Sous l’influence de Bakounine et de l’Internationale, la plupart des révolutionnaires russes semblent avoir eu pour formule la fédération de communes productrices indépendantes, formule qui leur était suggérée par leur propre organisation communale. (Voyez plus bas liv. VIII.) En 1874, après la fondation du Vpéred (En Avant) par Lavrof, des discussions s’étant élevées dans l’émigration sur la manière de préparer la révolution, les plus ardents déclarèrent avec Tkatchef qu’au lieu de se préoccuper de l’organisation future, « le parti d’action » ne devait avoir en vue que son œuvre de destruction. Ce conseil devint la règle de l’immense majorité des « nihilistes ».