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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/212

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femmes qui prêchent la suppression de la famille et la libre union des sexes, parmi ces jeunes filles aux cheveux courts qui se plaisent à prendre les allures et le langage des jeunes gens, il n’est pas rare d’en découvrir dont la conduite, loin d’être d’accord avec leurs cyniques principes, reste pure et irréprochable, en dépit de toutes les apparences d’une vie aventureuse et débraillée, en dépit de l’espèce de promiscuité morale où les plus sages semblent se complaire[1].

Le nihilisme a ses vierges ; beaucoup des conspiratrices de vingt ans, exilées dans les dernières années, ont emporté en Sibérie une vertu d’autant plus méritoire que leurs doctrines en font moins de cas. Chose plus bizarre, le nihilisme a eu ses unions mystiques ou platoniques, ses couples d’époux sans l’être, qui, mariés ostensiblement aux yeux du monde, aimaient à faire comme s’ils ne l’étaient point. C’est ce que, dans la secte, on appelait un mariage fictif. Depuis le procès de Netchaïef, en 1871, il est peu d’affaires politiques qui n’aient révélé quelques-unes de ces singulières unions. Le difficile est de comprendre ce qui poussait les révolutionnaires à ce simulacre de mariage. Pour beaucoup, pour les jeunes filles principalement, c’était un moyen d’émancipation qui facilitait la propagande politique. À la jeune fille, gagnée à la sainte cause, on offrait un mari pour lui donner la liberté de la femme mariée ; parfois c’était l’homme qui l’avait catéchisée et convertie, plus souvent c’était un ami, quelquefois un inconnu requis pour la circonstance. Solovief,

  1. Dans les villes d’Universités, on voyait fréquemment les étudiants et les étudiantes habiter côte à côte. Leurs chambres n’étaient séparées que par de minces cloisons ou par des portes, barricadées à l’aide d’une armoire ou d’un lit. « Les jeunes gens, dit un homme établi depuis longtemps en Russie, recherchent les logements habités par les étudiantes qui leur rendent mille petits services. Il n’est pas superflu de dire en passant que la plus grande moralité règne dans ces logements mixtes. » Edm. de Molinari, Journal des Économistes, 1er mai 1880. — Cette fréquente cohabitation, indépendamment de ses inconvénients moraux, pouvait contribuer à l’exaltation des jeunes gens des deux sexes, qui se montaient et se surexcitaient mutuellement.