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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/235

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Moscovite comme foncièrement étranger à la civilisation européenne, et aussi incapable de se l’approprier que l’Ottoman de Stamboul. À force d’exagération dans la louange ou dans le dénigrement, les deux extrêmes opposés en viennent à se toucher. Un tel rapprochement n’a pas de quoi flatter le patriotisme bien entendu des Russes, car la civilisation occidentale a traversé assez de crises, elle a pris assez de force jusqu’au milieu de ses révolutions, pour n’avoir guère à redouter les dédains de ceux qui prétendent lui demeurer étrangers, que de pareilles prétentions viennent de Stamboul, de Pékin ou d’ailleurs.

Chose non moins digne de remarque, le slavophilisme moscovite, par son point de départ comme par son attitude vis-à-vis de la civilisation occidentale, n’est pas sans quelque analogie avec le nihilisme révolutionnaire qui semble l’autre pôle de la pensée russe. Ce nom de « nihilisme » qu’il repousse, le radicalisme russe l’a peut-être surtout mérité par son manque de respect envers notre civilisation, dont lui aussi s’est plus d’une fois complu à faire le procès, à laquelle il aime, lui aussi, à opposer une Russie idéale et, sinon le passé, du moins l’avenir russe. C’est à la civilisation, à la culture classique et chrétienne, telle qu’elle est sortie des peuples germano-latins, que s’adressait avant tout la négation des pères du nihilisme. Ce qu’ils visaient, ce qu’ils reniaient, c’était moins la Russie que l’Occident. La Russie, ses coutumes et ses traditions, la plupart des Russes modernes avaient dès longtemps cessé d’y croire ; à cet égard, tous, en dehors des slavophiles, étaient depuis longtemps « nihilistes ». Leur foi, ils l’avaient mise dans notre culture occidentale dont ils cherchaient à s’imprégner. Au commencement du règne de Nicolas, comme au dix-huitième siècle, la civilisation, dont Pierre le Grand et Catherine n’avaient pu importer que les dehors ou les formules, était encore pour les esprits lettrés une religion qui, en dehors de quelques conservateurs attardés, ne comptait en Russie ni incrédules ni indiffé-