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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/27

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blance et l’unité des deux régions qu’il divise. Au lieu d’une limite ou d’une barrière, il n’est, pour les deux Russies, que le réceptacle de précieuses richesses minérales ; dans ses roches d’origine éruptive ou métamorphique, il leur offre les filons et les métaux qui manquaient aux stratifications régulières de leurs larges plaines. Il ne les sépare pas plus l’une de l’autre que le fleuve auquel on a donné son nom, et un jour, quand la Sibérie occidentale sera plus peuplée, on pourra regarder l’Oural comme l’axe central, l’arête médiane des deux grandes moitiés de l’empire.

Ainsi envisagée comme un tout, formé de deux moitiés analogues, la Russie se montre décidément étrangère à notre Europe. Est-ce à dire pour cela qu’elle soit asiatique, et qu’au nom de la nature, il la faille rejeter vers le vieux monde, en compagnie des peuples endormis ou stationnaires de l’extrême Orient ? Non, loin de là. La Russie n’est pas plus asiatique qu’elle n’est européenne. Par le sol et le climat, par l’ensemble de ses conditions naturelles, elle ne diffère pas moins de l’Asie historique que de l’Europe proprement dite ; ce n’est point par un pur accident que les civilisations asiatiques ont échoué chez elle. Des deux côtés de l’Oural, la Russie forme, à elle seule, une région particulière, avec des caractères physiques spéciaux, région embrassant toutes les plaines septentrionales de l’ancien continent, descendant trop au sud pour qu’on l’appelle boréale, mais qu’on peut nommer région russe[1], et qui, des déserts du centre de l’Asie aux toundras du cercle polaire, des bouches du Danube aux sources de l’Iéniséi et de la Lena, comprend presque toute la dépression colossale du Nord du vieux monde, la Basse-Europe et la Basse-Asie de Humboldt. Plutôt qu’à la vieille Asie ou à l’Europe occidentale, c’est à l’Amérique du Nord, à l’Amérique qu’elle va joindre par la Sibérie, que, pour la nature et les conditions phy-

  1. « La Russie est une sixième partie du monde », aurait dit un jour l’empereur Alexandre III, fière parole que la géographie ne dément point.