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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/270

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l’organisme gouvernemental était une conséquence naturelle de la débilité et du développement incomplet du corps social. La faiblesse des liens internes et spontanés a été compensée par la centralisation extérieure, par la concentration mécanique de toutes les forces nationales aux mains de l’autocratie.

En quoi la Russie des premiers Romanof, la Moscovie du dix-septième siècle, appartenait-elle à l’Europe ? Construite sur des fondations slaves par des chefs germaniques, cimentée par le christianisme sous l’influence de la nouvelle Rome, la Russie que renversèrent les Tatars avait des bases européennes. Celle que Moscou éleva sur ses débris était faite de matériaux hétérogènes, en partie empruntés à l’Asie : c’était un édifice d’architecture bâtarde, mêlée de byzantin et de mongol, de gothique et de renaissance, un édifice ressemblant à la bizarre et presque monstrueuse église de Vassili-Blagennoï, bâtie à Moscou par Ivan le Terrible.

Une chose frappe dans l’histoire russe, c’est sa stérilité, son indigence relative ; à travers toutes ses péripéties, elle a manqué des grands mouvements religieux ou intellectuels, des grandes époques sociales ou politiques, qui ont marqué la vie si agitée et si active des peuples occidentaux.

À ses origines, la Russie avait connu les quatre grandes forces dont la lutte a fait l’histoire et les institutions des nations européennes. Elle aussi avait eu, au-dessous de l’Église et de la royauté, des germes d’aristocratie et de démocratie ; mais les uns et les autres avaient été de bonne heure étouffés, et l’Église elle-même, malgré son ascendant, n’avait guère été que l’auxiliaire respecté, mais docile, de la monarchie.

L’histoire de la Russie se distingue de l’histoire des autres nations européennes plutôt par ce qui lui fait défaut que parce qu’elle possède en propre, et, à chaque lacune de son passé, correspond dans le présent un vide que le temps n’a