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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/355

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Aucune aristocratie de l’Europe n’a une plus haute ou plus lointaine noblesse. « En Russie, disait un jour M. de Talleyrand, tout le monde est prince. » Cette opinion du ministre de Napoléon est encore fort répandue en occident. Rien cependant n’est plus faux. Après l’afflux de tant d’étrangers, après tant d’anoblissements de toute sorte, le nombre des familles princières russes ne dépasse guère, dans cet immense empire, le chiffre de soixante, et encore plus de la moitié provient-elle d’une seule souche, de Rurik[1]. Les petits États du pape étaient peut-être aussi riches en maisons princières.

De cette noblesse de kniazes, les descendants des anciens souverains et des chefs locaux de la Russie forment encore aujourd’hui environ les deux tiers. Près de quarante de ces familles de princes remontent à Rurik, le fondateur de l’empire russe, et à saint Vladimir, l’apôtre de la Russie ; ce sont les agnats des vieux tsars moscovites, et ainsi les représentants de la dynastie qui régna du neuvième siècle à la fin du seizième. Cette féconde maison de Rurik, probablement la race souveraine la plus nombreuse que mentionne l’histoire, comptait, il y a un siècle ou deux, près de deux cents branches diverses[2]. Beaucoup n’ont plus de rejetons vivants ; quelques-unes, telles que les Talichtchef, ont abandonné ou perdu le titre de kniaz. Un autre groupe, composé de quatre familles russes et de quatre polonaises, provient d’une tige non moins illustre, et aux yeux des Russes, presque aussi nationale : ce sont les descendants

  1. Nous ne parlons ici que des familles proprement russes et non des familles originaires des dépendances de l’empire, du Caucase particulièrement, où la Géorgie a fourni à la noblesse un nombreux contingent de princes.
  2. En Occident, la diminution et la rapide disparition des anciennes familles semblent une sorte de loi, établie par l’histoire et les statistiques. En Angleterre, par exemple, la plupart des titres de lords ont dû être plusieurs fois relevés ; bien peu sont dans la même maison depuis plus d’un siècle ou deux. La multiplication de la race de Rurik et de Guédimine mérite d’autant plus d’être signalée qu’elle s’est faite sous le régime du partage des biens, qui d’ordinaire passe pour peu favorable à la reproduction des familles d’un certain rang.