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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/371

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aujourd’hui, comme propriétaire et comme serviteur de l’État. Ces deux titres, parfois séparés depuis, se tiennent étroitement alors : le second est la condition, la raison d’être du premier. C’est comme serviteur du grand-prince que le noble reçoit son pomêstié, c’est comme tels que ses enfants en conservent la possession. Le pomêchtchik reste dans la dépendance du souverain qui lui donne la terre, qui plus tard, avec le servage, lui donne, dans les paysans attachés à la glèbe, les instruments de culture. Pour le noble russe, la propriété n’est qu’un gagne-pain, un moyen d’existence, un moyen d’entretien (kermlénié) ; il ne s’y fixe point, ne s’y attache pas, il sait que le fleuve de la fortune a sa source ailleurs.

Sous les vieux tsars, comme sous les successeurs de Pierre le Grand, c’était dans la capitale, à la cour que s’obtenaient les emplois, que se conquéraient l’influence et la richesse. Aussi, dans la Moscovie comme dans la Russie moderne, c’était autour du maître, autour du grand dispensateur des grâces, que se pressaient les plus illustres familles, toutes se baissant à l’envi pour ramasser les faveurs qui tombaient des mains souveraines. L’attrait fascinateur du Versailles de Louis XIV sur la haute noblesse française, le barbare Kremlin l’exerçait non moins impérieusement sur les kniazes et les boyars moscovites. L’esprit de cour, si opposé au véritable esprit aristocratique, animait déjà tout le dvorianstvo russe. En France, dans l’assujettissement même, la noblesse gardait la dignité extérieure du gentilhomme ; en Russie, elle n’avait pour soutien ni d’anciennes traditions, ni le culte de l’honneur, ni les habitudes de politesse qui tempèrent l’arrogance du maître et relèvent l’humilité du courtisan. À la cour à demi byzantine, à demi asiatique de Moscou, les tsars se piquaient peu de déguiser sous une parure la servitude des boyars, et les boyars de couvrir d’un voile leur servilité. On sait le propos prêté par J. de Maistre ou par Ségur à l’empereur Paul Ier. « Monsieur, disait un jour l’auto-