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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/422

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tique de son histoire[1]. Le système financier de l’État, alors non moins primitif, se trouvait menacé en même temps que son système militaire par les fréquents changements, les émigrations, le vagabondage des gens taillables. C’était l’âge où l’empire moscovite, récemment étendu aux dépens des Tatars, offrait aux cultivateurs des ingrates régions du nord les terres plus fertiles du sud, l’àge où, pour se soustraire à l’impôt et mener la libre vie de Cosaques, les hommes aventureux fuyaient vers le Volga et le Don, vers la Kama et la Sibérie. L’homme se dérobait au fisc en se dérobant aux propriétaires. Pour assurer au pays des ressources financières et militaires régulières, le plus simple était de fixer l’homme au sol, le paysan au champ qu’il cultivait, le bourgeois à la ville qu’il habitait. C’est ce que firent Boris Godounof et les tsars du dix-septième siècle. Depuis lors jusqu’au règne d’Alexandre II, le moujik est demeuré fixé à la terre, affermi, consolidé (prikrêplmnyi) : car tel est le sens du terme russe que nous traduisons par le mot serf. Le servage russe n’eut pas d’autre origine ; il sortit du système administratif et des conditions économiques, des conditions physiques mêmes de la Moscovie, considérablement agrandie par les derniers princes de la maison de Rurik et menacée de voir sa mince population s’écouler et se perdre dans la steppe, comme l’eau dans les sables du désert.

Dans cette Europe orientale, dans ce pays de cabanes de bois, presque aussi aisées à transporter ou à refaire que la tente ou le gourbi de l’Arabe, l’homme avait peu d’attachement pour le sol, peu de goût pour l’agriculture. Trois siècles de servage n’ont pu faire disparaître entièrement chez le moujik ce penchant pour la vie nomade et vagabonde, encouragé par les longues rivières et les plaines sans fin. Le servage, qui lia l’homme à la terre, peut être regardé comme une réaction de l’État contre ces instincts

  1. Solovief, Istoriia Rossii, t. XIII, p. 47-48.