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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/434

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La noblesse territoriale ne dissimula pas son mécontentement, tant pour les tendances démocratiques, en faveur dans les commissions de rédaction, que pour la façon dont le gouvernement l’avait évincée d’une œuvre à laquelle il semblait d’abord l’avoir lui-même conviée. Plusieurs des grands propriétaires exprimaient tout haut leur désappointement de se voir exclus de l’élaboration d’une réforme qu’ils avaient espéré diriger, et cela au profit d’une commission bureaucratique qui paraissait n’avoir d’autre mission que de réunir et codifier les vues des comités provinciaux de propriétaires[1]. Ce fut pour la noblesse une première et grave déception.

Les passions et les colères, excitées par ces questions, furent si violentes qu’en triomphant de l’opposition soulevée par leurs projets, les principaux rédacteurs de l’acte d’émancipation ne purent triompher des rancunes accumulées contre leurs personnes. Au lendemain même du jour où était proclamé le sieiiui (pologénie) dont ils avaient été les plus zélés instigateurs, N. Milutine et ses amis, traités de rouges et de radicaux, à la cour comme dans la société, tombaient dans une disgrâce à peine déguisée. On acceptait l’œuvre, on sacrifiait les ouvriers. Il fallut l’insurrection de Pologne pour que le gouvernement se décidât à recourir de nouveau aux services des Milutine et des Tcherchasski[2]. Cette soudaine contradiction, en apparence incompréhensible, n’était pas seulement le fruit des hésitations du souverain ou des intrigues de cour. En congédiant N. Milutine, au moment où il semblait naturel de lui confier l’application des lois rédigées par ses amis et

  1. Voyez par exemple la Lettre d’un député de comité (comte Orlof Da-vydof) au président de la commission de rédaction (Paris, 1859).
  2. « On me donne congé pour une année entière, ou pour mieux dire, on m’a mis de côté en me faisant sénateur… écrivait N. Milutine à Tcherkasski le 4-16 mai 1861… Je n’avais demandé qu’un congé de quatre mois ; mais la réaction est venue à mon secours. Lanskoï et moi (Lanskoï était le ministre de l’intérieur, et Milutine son adjoint), nous avons été éloignés du ministère pour complaire à la noblesse. »