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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/454

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millions de paysans des deux sexes restaient encore placés sous la tutelle de leur ancien seigneur et, pour tout dire, restaient dans une demi-servitude, car les prérogatives reconnues par le législateur aux propriétaires étaient fort étendues. D’après l’article 148 du statut agraire (pologénié), l’ancien seigneur était de droit le curateur des communes de paysans temporairement obligés ; d’après l’article 149, le seigneur était investi de la police domaniale et du soin de veiller à la sécurité publique ; il pouvait exiger de la commune l’arrestation des paysans coupables ou suspects. L’article 160 du statut allait jusqu’à donner au propriétaire noble la faculté de reviser les décisions communales et d’en suspendre l’exécution. Bien plus, le seigneur avait dans certains cas le droit d’exiger le remplacement de l’ancien ou chef élu de la commune, le droit même d’autoriser ou d’interdire l’éloignement temporaire du paysan. On voit ce qu’avait d’anormal une pareille dépendance des affranchis vingt ans après l’affranchissement. Pour être vraiment émancipés, ces paysans temporairement obligés avaient, selon l’expression d’un publiciste pétersbourgeois[1], besoin d’une autre émancipation.

Cette émancipation, la loi l’avait prévue et préparée, elle s’opérait graduellement par le rachat qui déliait les anciens serfs de toute obligation envers leurs seigneurs. Par malheur, l’exécution de cette grande mesure se poursuivait d’une manière inégale selon les provinces : propriétaires et paysans sont loin d’avoir montré partout le même zèle pour régler leur situation. Dans le gouvernement de Koursk par exemple, à peine la moitié des paysans, dans ceux de Nijni, de Toula, d’Orel, d’Astrakan, à peine les 2 tiers avaient entrepris le rachat en 1880. Dans les huit gouvernements de la zone agricole du centre, c’est-à-dire dans la plus riche région de l’empire, plus de S5 pour 100 des serfs émancipés, soit 1 500 000 paysans des deux sexes étaient

  1. M. E. Markof, Golos, novembre 1880.