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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/507

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d’évolution de la propriété collective chez le paysan russe, le lien de la famille et de la commune, de la vie domestique et de la vie du mir, est chez lui trop étroit pour que l’on puisse bien comprendre la seconde sans connaître la première. Il y a d’autant plus d’intérêt à jeter un regard sur la maison et le foyer du moujik que les vieilles mœurs sont en voie de disparaître. Ce qui, jusqu’à la libération des serfs, caractérisait la famille de l’homme du peuple, c’était son unité ; c’était, avec l’habitation en commun, l’indivision des biens et l’autorité paternelle. Or, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, l’affranchissement a en quelques années ébranlé ces mœurs séculaires. La pacifique révolution, qui a tranché les liens du maître et du serf, a relâché le lien du père et des enfants. En même temps que la liberté, le goût de l’indépendance est entré au foyer domestique. C’est là une des principales et une des plus naturelles conséquences de l’émancipation ; c’est en même temps un fait qui ne peut manquer de réagir sur la commune, sur toute l’existence matérielle et morale du moujik.

Le père de famille, selon les vieilles mœurs russes, est souverain dans sa maison, comme le tsar dans la nation ou, suivant un ancien proverbe, comme le khan en Crimée. Pour retrouver en Occident quelque chose d’analogue, il faut remonter au delà du moyen âge, jusqu’à l’antiquité classique et à la puissance paternelle des Romains. Chez le paysan russe, l’âge n’affranchissait point l’enfant de l’autorité du père ; le fils adulte et marié y restait soumis, jusqu’à ce qu’il eût lui-même des enfants en âge d’homme ou qu’il fût devenu à son tour chef de maison. La souveraineté domestique était demeurée intacte à travers toutes les transformations, toutes les révolutions de la Russie. Comme le tsar, le père semblait tenir du ciel une sorte de droit divin contre lequel toute révolte eût été une impiété. Au seizième siècle, dans un manuel d’économie domestique, intitulé le Domostroï, le prêtre Sylvestre, conseiller du tsar Jean IV, exalte l’autorité du père de