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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/540

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ment, tantôt sous l’impulsion d’un fonctionnaire intelligent, les paysans allongent la période de jouissance. La répartition annuelle, pour les champs du moins, n’est déjà plus qu’une exception[1], la réparution triennale se fait plus rare. Des périodes de dix, quinze, vingt, parfois même trente ans deviennent de plus en plus fréquentes. En certains districts, les paysans, instruits par l’expérience, ne recourent à une nouvelle répartition qu’à la dernière extrémité.

La fréquence des partages est un mal que les apologistes les plus décidés du mir sont les premiers à reconnaître. Aussi ne saurait-on s’étonner que, dans un pays toujours fort enclin à réclamer l’immixion de l’État, plus d’une voix autorisée ait demandé à la loi et à l’administration de fixer par des règlements la durée de la jouissance des terres. Certains défenseurs des communautés, voyant leur institution favorite compromise aux yeux de l’opinion par l’abus de partages répétés, ont conjuré le gouvernement de venir au secours du mir en le protégeant contre lui-même, sans comprendre que, par cet appel à l’ingérence administrative, ils risquaient de porter un coup irréparable à un régime dont la principale force est dans les mœurs, dans la tradition, dans la spontanéité vivante.

Les défauts, justement reprochés aux partages annuels, sont loin d’être limités aux terres communales. La propriété individuelle n’y échappe pas. Beaucoup de domaines sont loués à court terme aux paysans des communes, qui les allotissent et les cultivent de la même manière que leurs propres champs. « Quelle différence y a-t-il, dit à ce propos l’un des avocats du mir[2], entre une propriété personnelle, mise chaque année en loyer (ce qui, pour un grand nombre de domaines seigneuriaux, est l’usage habituel), et une propriété collective, mise chaque année en partage ? Il est plus difficile d’amener les propriétaires à allonger leur

  1. Materialy, etc., I (1880).
  2. Kochelef, Ob obchtchinnom semléviadénii v Rossii (p. 12, 14), Berlin, 1875