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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/565

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de la liberté, prenant à leur compte les sophismes révolutionnaires sur le servage du travail salarié[1].

Ce bizarre accouplement, encore assez fréquent en Russie, de l’esprit slavophile et des rêveries socialistes, n’est pas aussi contre nature qu’il le semble au premier abord. La dangereuse séduction qu’exercent parfois sur l’austère slavophilisme les grossiers appâts du socialisme moderne, a été fort bien expliquée par des écrivains russes[2]. Entre ces deux directions, en apparence diamétralement opposées » — entre le novateur socialiste, essentiellement cosmopolite et incrédule, qui rêve la destruction des frontières politiques aussi bien que le renversement des bornes privées, et le slavophile orthodoxe, pieusement épris des traditions nationales, soigneusement jaloux de la gloire de son pays et défiant du dehors, — il y a, nous l’avons dit[3], un lien caché : c’est le dédain de la civilisation moderne, que tous deux frappent de leurs anathèmes, c’est une commune aversion pour la société européenne, pour la science bourgeoise et l’économie politique de l’Occident que l’un attaque, au nom des utopies d’un avenir irréalisable, et l’autre, au nom des traditions d’un passé presque aussi chimérique.

La commune russe a pour ennemis les adversaires ha-

  1. Voyez dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1879 notre étude intitulée le Socialisme agraire et la propriété foncière en Europe. Un des pubiicistes qui ont débattu avec le plus d’éclat ces délicates questions de propriétés, le défunt prince A. Vasiltchikof ; s’exprime lui-même ainsi, dans une lettre qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser, en réponse à mon article sur le Socialisjne agraire : « Le régime communal étant introduit en Russie depuis des siècles, il est tout naturel qu’en le discutant nous nous rencontrions sur un terrain commun avec les socialistes de l’Occident, et qu’en voulant maintenir cette institution traditionnelle dans notre pays, nous reproduisions en grande partie les arguments que les socialistes emploient pour l’introduire violemment dans les sociétés occidentales. — C’est un fait indubitable que, dans plusieurs questions sociales et agraires, nous côtoyons de très près les théories réputées radicales et révolutionnaires en Europe… » Lettre insérée dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1879.
  2. MM. Guerrier et Tchitcherine : Rousskii dilletantizm i obchtchinnoé zemlévladénié, Moscou, 1878.
  3. Voyez plus haut, livre IV, chap. I.