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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/568

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peine par la gravité des intérêts en jeu et l’acharnement de la lutte.

Avant l’affranchissement des serfs, tous les vices sociaux, toutes les plaies économiques de la Russie étaient rejetés sur le servage ; aujourd’hui certains Russes font tout retomber sur la propriété collective.

Si l’émancipation n’a pas donné, à la culture et à la production, toute l’impulsion qu’on en espérait, c’est à leurs yeux la faute de la commune. Les peuples résistent difficilement à la tentation de se faire un bouc émissaire qu’ils puissent rendre responsable de leurs défauts ou de leurs déceptions. Or, tel est pour beaucoup de Russes, pour beaucoup de propriétaires surtout, le rôle de la commune rurale. Elle porte devant l’opinion le lourd poids des erreurs inévitables et des espérances trompées ; on la charge de tout ce qu’on reproche au moujik émancipé, à l’agriculture encore arriérée. L’imprévoyance ou l’ivrognerie des paysans, le manque ou la cherté des bras, les mauvaises récoltes, l’épuisement prématuré du sol, les disettes périodiques même de certaines contrées de l’empire, deviennent autant de textes d’accusation contre l’institution nationale des slavophiles. À en croire certains détracteurs du mir, pour vouer la Russie à une décadence irrémédiable, il n’y a qu’à conserver ce legs des temps barbares ; pour ouvrir à l’agricullure et à la production une ère de prospérité sans exemple, il n’y aurait qu’à débarrasser la propriété des langes de la communauté[1]. Quand le régime actuel mériterait toutes ces attaques, de telles vues et de telles espérances n’en seraient pas moins dangereuses ; car, en réunissant et confondant en un seul tous les maux dont

  1. C’est ainsi que, dans une brochure pleine de verve, un agriculteur du sud, s’élevant contre l’idolâtrie des hommes de cabinet qui mettent la commune sur un piédestal, ne craignait pas d’affirmer qu’en supprimant le régime de la communauté, on doublerait immédiatement la production et qu’on n’aurait plus besoin de bourreau ou de prison contre la propagande des nihilistes, des communistes, des anarchistes (Deltof : Krisis vli Nevéjesivo, Kharkof, 1879).