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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/576

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a été abandonnée, est obligé de demander son pain à un métier industriel, ou d’aller au loin louer ses bras. L’insuffisance du fonds communal est parfois si notoire que, sous Alexandre II, des assemblées provinciales, celles de Tver et de Tauride, par exemple, se sont décidées à faire des avances aux communes pour leur permettre d’arrondir le lot de leurs membres, que, sous Alexandre III, l’État a lui-même, dans le même dessein, fondé une Banque foncière spéciale.

Les plaintes contre l’exiguïté du lot ou nadél des paysans sont aujourd’hui presque générales. M. Ianson, professeur de statistique à l’Université de Saint-Pétersbourg, s’est fait le principal organe de ces doléances, devenues depuis lors, dans la presse pétersbourgeoise, une sorte de lieu commun[1]. On a été jusqu’à dire qu’en le dotant aussi maigrement, l’émancipation avait trompé les espérances du peuple et fait mentir les promesses impériales, telles qu’elles avaient été formulées, en 1857, dans le célèbre rescrit à Nasimof. On avait promis, dit-on, au paysan, une quantité de terre suffisante pour assurer son existence et le mettre en état de se suffire à lui-même, et, au lieu de cela, on lui a généralement donné un lot trop petit pour subvenir aux besoins de sa famille.

Il y a, semble-t-il, dans les doléances de ce genre, un malentendu qu’expliquent les illusions, suscitées au moment de l’affranchissement des serfs. Les inspirateurs de la charte du 19 février 1861 auraient partout voulu, nous l’avons dit, arrondir les allocations concédées aux paysans, de façon à ce que les affranchis n’eussent pas moins de terre en propriété que n’en avaient les serfs en jouissance ; mais jamais les membres du comité de rédaction, les plus favorables au paysan, n’ont eu l’idée de lui donner assez de terres pour qu’il n’eût plus besoin de travailler en

  1. Ianson : Opyt statistitcheskikh issiédovanii o krestianskikh nadèlakh i platchukh (1877, ouvrage réimprimé en 1881).