Aller au contenu

Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étudions l’État et la société russes dans un de leurs principaux éléments, dans ce qui, en réalité, leur sert de base et de support.

Il serait aussi facile de bâtir une ville dans les airs que de constituer un État sans croyance aux dieux. Ainsi parle un ancien, Plutarque, si je ne me trompe, et, sur ce point, la plupart des penseurs modernes, y compris Rousseau et Robespierre, ont été d’accord avec l’antiquité. En dépit des apparences, cette vieille maxime ne nous paraît pas encore surannée. La science a eu beau émanciper la pensée de l’homme, les sociétés humaines ont peine à vivre sans croyances supérieures, non pas assurément sans culte officiel ou sans religion d’État, mais sans culte ni sentiment religieux. Ils montrent une présomption naïve, les philosophes qui, avec le fondateur du positivisme, croient l’heure venue de reconduire Dieu aux frontières de leur république, sauf « à le remercier de ses services provisoires ». Dieu a encore des services à rendre. Dieu exilé de la cité, bien des choses pourraient émigrer à sa suite.

Telle est, à notre sens, la difficulté capitale de notre civilisation arrivée à l’âge adulte. Loin de diminuer avec le temps et avec l’habitude, cette difficulté s’accuse de plus en plus avec l’affaiblissement des croyances religieuses et l’énervement des notions morales dont ces croyances faisaient la force. Le péril des États modernes, leurs révolutions périodiques, leurs agitations incessantes, l’esprit d’inquiète convoitise qui travaille la plupart des nations, proviennent, avant tout, de ce que les peuples contemporains ont, en grande partie, perdu leur ancienne foi, sans que rien l’ait remplacée. De là, les ébranlements de l’Occident et toutes ces commotions populaires qui menacent la société européenne d’un bouleversement sans analogue depuis quinze siècles.

Le socialisme, l’anarchisme ou, d’une manière plus générale, l’esprit révolutionnaire est le fils aîné de l’incroyance. Les utopies de la terre remplacent la foi au ciel.