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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/207

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On prétend que, lors de l’ouverture du Saint-Synode, un prélat moscovite ayant demandé à l’empereur s’il n’y aurait plus de patriarche, Pierre lui répondit : « C’est moi qui suis votre patriarche[1] ! » Quand le mot serait vrai, de pareilles saillies ne sont pas à prendre à la lettre, pas plus que l’assertion de Catherine se décernant, dans une lettre à Voltaire[2], le titre de « chef de l’Église grecque ». Tout autres sont les prétentions avouées par le gouvernement et les théories enseignées dans ses écoles. Il est vrai qu’en matière ecclésiastique, comme en toutes choses russes, la pratique n’est pas toujours d’accord avec la théorie. Dans les catéchismes orthodoxes, les tsars sont simplement appelés principaux curateurs et protecteurs de l’Église. Les célèbres catéchismes de Platon et de Philarète, demeurés les dépositaires de l’enseignement officiel, ne reconnaissent pas au souverain d’autres qualités. Un Français est humilié de découvrir que, en fait d’adulation et de servilité, il ne s’y rencontre rien de comparable au chapitre « des devoirs envers l’Empereur » du catéchisme de Napoléon Ier.

Le tsar est-il pratiquement le chef de l’Église, c’est de fait et non de droit. Il n’en est point de l’Église russe comme de l’Église anglicane, comme des Églises luthériennes ou évangéliques de l’Allemagne et des pays Scandinaves. En Angleterre, le roi et, à défaut de roi, la reine est, de par la loi, le chef de l’Église ; il l’est en droit non moins qu’en fait. De même dans la plupart des pays protestants. La suprématie de l’État sur l’Église a été hautement proclamée, elle a été régulièrement établie, elle persiste en droit alors même qu’elle ne s’exerce plus toujours dans la pratique. L’Église ne la conteste pas, ou l’Église a été des siècles sans la contester. Sur ce point, jamais l’autocratie tsarienne n’a élevé les mêmes prétentions ou montré les

  1. Nicolas Polevoï, Istoriia Peira Vélikago ; Tondini, The Roman Pope and the Eastern Popes.
  2. Lettre du 27 décembre 1773 (8 janvier 1774).