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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/238

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leur utilité, comme instrument de mortification et exercice de patience. Pour le moine du peuple, l’idéal du religieux est toujours l’anachorète du désert ; c’est le stylite sur sa colonne[1] ou le gymnosophiste chrétien, uniquement vêtu de sa longue barbe, qui figure encore dans les peintures des couvents russes ; ce sont les saints ensevelis vivants dans les catacombes de Kief. Les noms des monastères rappellent la Thébaïde ; les plus grands portent celui de laure (lavra), les petits ceux de skyte ou de désert (poustynia). Leurs cryptes et leurs catacombes sont moins la tombe des morts que la demeure des anciens anachorètes retirés dans les grottes à l’exemple des Pères du désert. Les cavernes, telles que le sacro-speco de saint Benoit à Subiaco ou la cueva de saint Ignace à Manresa, semblent avoir conservé, sur l’imagination religieuse du peuple, leur antique attrait. Dans le voisinage du skyte de Gethsémani, près de Troïtsa, l’on peut visiter les catacombes où de modernes émules des saints de Kief se sont enfouis des années, dans des cellules souterraines, loin des hommes et de la lumière du jour. En Crimée, au monastère de l’Assomption, près de Bachtchi-Saraï, des moines se sont établis, entre le ciel et la terre, dans des grottes aériennes pratiquées aux flancs du rocher et reliées entre elles par de frêles galeries de bois. Ce couvent de troglodytes n’a point un siècle d’existence. Le goût de la vie d’ermite n’est pas éteint dans le peuple ; si l’État n’en autorise plus la fondation, les sectaires dissidents s’érigent parfois encore des ermitages dans les contrées écartées.

Avec de telles tendances, une seule règle monastique suffisait, comme, en Occident, a longtemps suffi le seul ordre de Saint-Benott. En Russie, ainsi que dans tout l’Orient, règne la règle de Saint-Basile, dont les dispositions moins précises, moins systématiques, ne se peuvent comparer aux constitutions savamment coordonnées de la

  1. L’Église russe compte deux saints stylites ; saint Cyrille de Tourof et un saint Nikita, tous deux du douzième siècle.