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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/240

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un rôle analogue à celui des moines de Saint-Colomban ou de Saint-Benoît dans l’Europe catholique. De même qu’en Gaule et en Germanie, les moines ont été les pionniers de la civilisation aussi bien que du christianisme. Convertissant les tribus barbares et défrichant les landes ou les forêts, ils ont, sur leurs pas, attiré les colons russes au fond des solitudes du nord et de l’est. Plus d’une ville a eu pour noyau un monastère. Plus d’une foire longtemps célèbre a commencé aux portes d’un couvent. Ainsi la foire de Makarief, aujourd’hui transportée à Nijni-Novgorod. En Russie aussi, les cloîtres ont été l’asile des lettres, apportées de Byzance par les moines grecs. Peu de nos abbayes se pourraient, à cet égard, comparer à Petchersk de Kief, où écrivaient Nestor et les premiers annalistes[1]. S’il est un pays qui ait été fait par les moines, c’est la Russie.

Les couvents y ont un caractère plus national que partout ailleurs. Dans la vie monastique, comme en toutes choses, la religion s’est davantage identifiée avec le peuple. Pendant les luttes contre les Tatars, contre les Lithuaniens et les Polonais, les monastères ont été le principal rempart de la nationalité dont, par la difîusion du christianisme, ils avaient été l’un des principaux facteurs[2]. L’histoire de la Russie revit presque tout entière dans deux grandes laures : Petchersk, le couvent des catacombes des bords du Dniepr, symbolise et résume la première période de l’existence nationale ; Troïtsa la seconde. Petchersk personnifie l’âge de Kief, Troïtsa l’âge de Moscou. Les monastères de Russie étaient des citadelles ; beaucoup gardent encore leurs murailles crénelées : ce sont les châteaux forts du

  1. Les moines de Kief ont beau montrer, dans leurs catacombes, le tombeau de saint Nestor, l’annalisto (létopiscte), la paternité de la Chronique de ce nom reste douteuse ; ce qui l’est peu, c’est qu’elle a été écrite par les moines. Voy. L. Léger : Chronique dite de Nestor.
  2. Il en a été de même chez la plupart des peuples orthodoxes, chez les Grecs et chez les Serbes, chez les Bulgares notamment. Des couvents, comme celui de Rilo, ont été le refuge du slavisme dans les Balkans.