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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/35

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demeurées en dehors de toutes les assurances, si les assemblées provinciales n’avaient imaginé d’en établir d’obligatoires.

Les villageois font parfois encore le même accueil résigné aux maladies nouvelles qui déciment leurs troupeaux ou leur famille et aux insectes qui fondent à l’improviste sur leurs champs. Le sud de la Russie n’est pas toujours à l’abri des ravages des sauterelles. Vers 1880 on a vu, dans le gouvernement de Kherson, les paysans refuser de se défendre contre une invasion de criquets. « Dieu est irrité, disaient-ils : les sauterelles sont un châtiment de Dieu. » Et ils restaient assis, immobiles, en face de l’armée dévorante des locustes, répétant : « Quand le jour du châtiment sera passé, les sauterelles partiront ». Pour triompher de l’obstination de ces moujiks, l’autorité civile dut s’adresser au clergé, et, en pareille rencontre, le peuple des campagnes est loin de toujours obéir aux exhortations de ses prêtres.

Le fatalisme est un des traits les plus marqués du caractère national. Général chez les paysans, il persiste fréquemment dans des classes ou chez des hommes que leur éducation semblerait devoir y soustraire. L’esprit russe en est, pour ainsi dire, imprégné. On en retrouve la trace dans sa bravoure comme dans sa résignation, dans ses révoltes comme dans ses soumissions, dans ses témérités non moins que dans ses découragements, dans ses accès d’activité fiévreuse aussi bien que dans ses langueurs et son apathie, dans ses négations presque autant que dans sa religion. Il perce jusque dans ses plaisirs et ses goûts, comme dans la passion des jeux de hasard, passion qui repose au fond sur une sorte d’acte de foi à la chance et au pouvoir mystérieux du sort. Si le Russe a vraiment quelque chose d’oriental, c’est par là.

Au fatalisme s’allie souvent chez lui le mysticisme, un mysticisme inavoué qui s’ignore, qui fréquemment se nie lui-même et a honte de se reconnaître. Cette veine mys-