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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/444

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le sens pratique au fanatisme, qui donnèrent aux sans-prêtres leur centre matériel et moral, le cimetière de Préobrajenski. Fondé sous Catherine II, lors de la peste de Moscou, un peu avant Rogojski, l’établissement rival des ""popovtsy"", Préobrajenski, fut plus puissant encore que ce dernier. Kovyline obtint que l’hôpital, joint au cimetière, fût soustrait à toute surveillance des autorités ecclésiastiques, et que le culte y fût célébré selon les rites de la secte. La société fondatrice eut le droit de choisir dans son sein les administrateurs de l’établissement, et ceux-ci n’eurent de compte à rendre qu’aux fondateurs. Avec les doctrines parfois antisociales de la bezpopovstchine, Préobrajenski devait, dans son existence séculaire, donner lieu à plus de soupçons, à plus d’accusations encore que Rogojski. Le cimetière théodosien fut dénoficé comme un repaire de voleurs, une fabrique de faux billets de banque, un asile de débauches. Il se peut que, sous le voile de la charité, les austères fédoséiévtsy aient caché plus d’une fraude et que le masque de l’ascétisme ait parfois déguisé le libertinage. Pour avoir régné cent ans sur le raskol, dans une période de l’histoire où toutes les institutions ont eu une si courte existence, il n’en a pas moins fallu à Préobrajenski, comme à Rogojski, de grandes qualités, voire de grandes vertus. Si leurs chefs avaient été étrangers au sentiment du devoir, si, en dépit ou plutôt en raison de leur fanatisme, ils n’eussent obéi à une conviction profonde, les deux puissants cimetières fussent bien vite redevenus de silencieuses demeures des morts. Il est difficile de ne point ressentir d’involontaire admiration pour ces marchands moscovites, gouvernant sans contrainte une libre société dans un État autocratique, maniant sans contrôle un trésor immense pour le temps, un trésor qui s’éleva, dit-on, à une douzaine de millions de roubles. Préobrajenski a, comme Rogojski, été envahi par la police et le clergé de l’État. Le cimetière théodosien a été mutilé sous Nicolas. On laissa aux raskolniks leur hospice, on leur prit leur