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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/457

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l’autre sexe. Ils pratiquent une sorte de communisme, nient toutes les distinctions sociales et regardent tous les hommes comme égaux. Ils se considèrent comme moines et se donnent les noms de frère et de sœur. Avec les plus rigides bezpopovtsy, ils proscrivent le mariage, qui, suivant eux, ne sert qu’à couvrir le péché. À la vie conjugale ils préfèrent les relations illicites, sous prétexte que l’homme marié se voue éternellement au mal, tandis que, chez les célibataires, les faiblesses des sens trouvent leur punition et leur purification dans la condamnation des hommes. Il en est qui s’adonnent en fait à la polygamie, ayant des maîtresses en divers villages, ou traînant avec eux des femmes qui partagent leur vie nomade. Sans moyens réguliers d’existence, les errants ont parfois recours au vol, se justifiant toujours par ce principe, que, le monde étant sous la loi de Satan, toute attaque contre la société est une protestation contre la domination de l’enfer[1].

Une pareille doctrine ne peut exiger de chacun l’application immédiate de ses maximes. Comme toutes les sectes dont les dogmes font violence à la nature humaine, les stranniki ont dû se partager en deux classes, en deux ordres d’adeptes. Ainsi nos Albigeois qui, eux aussi, croyaient au règne de Satan, proscrivaient le mariage et repoussaient l’Église comme une institution démoniaque ; ils admettaient deux degrés d’affiliation : les parfaits, astreints à toute la rigueur du code cathare, et les simples croyants, autorisés à vivre de la vie ordinaire, à condition de rester en communion avec les parfaits[2]. Les stranniki ont une organisation analogue. Ils se divisent en deux catégories, les errants proprement dits, les pèlerins ou coureurs, qui mènent la vie en fuite, et les domiciliés, les sédentaires ou mondains, qui demeurent dans le siècle, payent les impôts et au besoin fréquentent l’Église. La mission de ces

  1. Zapiska o strannitcheskoï eresi, Sbornik, t. II, p. 39 et suiv.
  2. Voy. Alb. Réville, les Albigeois (Revue des Deux Mondes, 1er mai 1874).