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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/520

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C’est là une différence essentielle entre le socialisme religieux et le socialisme révolutionnaire ; et cela seul suffirait pour que l’un pût vivre, çà et là, en petites sociétés volontaires, tandis que l’autre est irréalisable. Les sectaires et les prophètes errants qui prétendent transformer les sociétés humaines et fonder sur la terre une sorte de cité de Dieu ont beau être des illuminés, ils sont moins chimériques que nos prétendus réformateurs qui rêvent le même songe, sans Dieu et sans foi pour les aider à le réaliser. Entre les disciples de Popof et nos communistes ou mutualistes, les moins naïfs sont encore les moujiks qui prétendent bâtir sur l’Évangile.

Est-ce à dire, comme semblent le croire certains Russes, qu’il germe au fond de ces sociétés obscures des semences de rénovation sociale ? Nous ne le pensons pas, et ce qui nous en fait douter, ce n’est ni l’ignorance, ni le petit nombre, ni la dispersion des groupes de paysans où se tentent ces curieuses expériences ; c’est qu’elles ne peuvent se faire qu’à couvert de la religion ; et réussiraient-elles à cet abri, elles ne sauraient s’en passer. Pour qu’il sortît de là une transformation en grand de la propriété, de la famille, de l’État, il faudrait d’abord, selon le rêve de maints raskolniks, transformer la Russie en une sorte de république théocratique ou de fédération monacale.

Par contre, on se tromperait en ne voyant dans les penchants plus ou moins communistes de telle ou telle secte qu’une conséquence de ses doctrines. Les penchants sont dans le peuple et pour ainsi dire dans le sol[1]. En faut-il dire autant de l’esprit de fraternité, qui anime toutes ces petites communautés sectaires ? On peut aussi en retrouver le germe dans le génie national et dans les institutions communales, mais il ne fleurit pleinement qu’à l’ombre de la foi. S’il a plus de force chez les dissidents, c’est que d’habitude les dissidents sont les plus religieux des moujika.

  1. Voyez tome I, livre VIII, chap. vii.