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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/535

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de la femme russe s’exerce où elle a le champ libre : chez la paysanne, dans la propagande religieuse, comme chez l’étudiante, dans la propagande politique. C’est, aux deux extrémités de la nation, un phénomène du même ordre. La Russie n’est pas du reste le seul pays où la femme a l’esprit de prosélytisme. Dans toutes les religions, le sexe faible, le sexe pieux, joue un rôle considérable. Les sectes anglo-saxonnes ont aussi leurs prophétesses, et dans cette société moins ignorante il y a également des femmes illuminées, qui s’attribuent des fonctions surnaturelles et des titres presque divins. Les khlysty américains, les shakers des États-Unis, ont souvent à leur tête une mère ou une fiancée de l’agneau de Dieu. En Angleterre même, les shakers de New-Forest étaient naguère dirigés par une certaine mistress Girling, dont les visions servaient à la communauté de règle de foi.

C’est un spectacle monotone jusqu’en sa diversité, que l’infatigable génération des sectes. Toutes ces obscures doctrines, ne pouvant se fixer par l’enseignement et la publicité, gardent quelque chose d’incohérent qui les expose à de perpétuelles variations. C’est comme des dunes de sable sans consistance, que les vents de la mer ou du désert font et défont sans cesse. Ces confuses hérésies ne sont parfois que l’expression des aspirations du moment. Chaque événement dans la vie du peuple donne naissance à quelque secte qui, à son heure, est comme la formule des besoins ou des préoccupations populaires.

C’est ainsi que l’émancipation du servage, qui, en retirant au peuple son principal grief, semblait devoir porter un grand coup à l’esprit de secte, a passagèrement enfanté des sectes nouvelles. Le mécontentement excité chez le paysan par les conditions du rachat des terres a, dans plus d’une contrée, pris une forme religieuse. « La terre est à Dieu, disaient de rustiques prophètes, et Dieu veut que tous ses enfants en jouissent librement sans redevances. » En d’autres moments, c’est l’impôt dont le paysan