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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/545

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classes privilégiées, le gouvernement ne s’en était guère inquiété ; s’il est une liberté en Russie, c’est la liberté des salons. Il en fut autrement lorsque, des corsages décolletés et des habits noirs, la propagande passa à l’armiak et au touloup. Le peuple, avec sa logique naturelle, ne gardait pas toujours, vis-à-vis de l’Église et du clergé, la déférence de bon goût que continuaient à leur témoigner des esprits dressés aux compromis de la vie mondaine. Il arriva, me racontait un de mes amis, que des paysans, qui avaient entendu M. Pachkof parler sur l’inutilité des cérémonies et des observances, n’eurent rien de plus pressé, en rentrant dans leur izba, que de jeter par la fenêtre leurs saintes images. Le gouvernement impérial ne tarda pas à prendre des mesures contre les aristocrates prédicateurs. M. Pachkof fut expulsé de Pétersbourg ; interné d’abord dans ses terres, il fut ensuite invité à voyager à l’étranger. Le comte Korf dut également quitter la capitale. La société de propagande fondée par ces messieurs a été dissoute en 1884 ; leur organe, la Feuille évangélique du dimanche, a été supprimé. Le haut-procureur du Saint-Synode, M. Pobédonostsef, n’a pas traité ces apôtres en gants blancs avec beaucoup plus de ménagements que les prophètes en peau de mouton. « Jusque dans la haute société, disaient ses rapports annuels, il s’est rencontré des insensés qui ont abandonné la foi de leurs pères pour des doctrines absurdes, apportées par des sectaires de passage. » Non content de leur reprocher de troubler la foi des simples, M. Pobédonostsef les accusait de prêter un appui moral et matériel aux sectes du peuple, notamment aux stundistes. Le beau monde tient rarement en Russie contre la défaveur officielle. Le pachkovisme des salons est déjà en décadence. Les rigueurs du pouvoir ne semblent pas cependant avoir entièrement arrêté la propagande évangélique, en province du moins. En 1886, par exemple, le tribunal de Novgorod condamnait à la prison deux hommes coupables d’avoir prêché « l’hérésie de Pachkof ». L’année suivante, on signalait dans la même région