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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/636

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d’Odessa était descendu dans un des premiers hôtels de Kief. Au vu de son passeport portant la mention : hébreu (evrei), mention obligatoire pour tout Israélite, l’hôtelier mit à la porte le nouvel arrivé. Chaque année, Kief se glorifie de l’expulsion de plusieurs de ces contempteurs de la foi.

Ces lois sur le domicile des Juifs aboutissent aux anomalies les plus choquantes. Elles placent les Israélites au-dessous des criminels, à qui certaines villes, les capitales notamment, ne sont interdites, à l’expiration de leur peine, que pour un temps donné. Parmi ces parias de l’empire il en est bien quelques-uns que le législateur admet à résider dans les provinces de l’intérieur. Ce sont, d’un côté, les Juifs en possession de grades universitaires ; de l’autre, les marchands de première guilde, autrement dit les négociants qui payent une patente élevée. La même faveur est accordée par la loi aux artisans inscrits dans un corps de métier, mais cela seulement pour un séjour temporaire. Aussi, fort peu en profitent-ils, car ils n’osent s’établir dans des villes où ils restent toujours sous le coup d’une expulsion. Un artiste ou un savant Israélite dépourvu de diplôme ne peut, légalement, habiter les capitales. À prendre la loi au pied de la lettre, le plus grand sculpteur de la Russie, Antokolsky, correspondant de notre Institut, n’a pas le droit de vivre à Pétersbourg.

Il est naturel que les Israélites cherchent à franchir l’espèce de cordon légal derrière lequel on prétend les reléguer. Cela les oblige parfois de recourir aux expédients les plus bizarres. En voici deux exemples. Un jeune homme, qui tenait de son titre de docteur le droit de libre résidence, fut réduit, pour garder ses vieux parents près de lui à Pétersbourg, à faire inscrire son père comme son valet et sa mère comme sa cuisinière. Une jeune fille venue à Moscou pour apprendre la sténographie n’avait trouvé qu’un moyen de ne pas être renvoyée par la police, c’était de prendre une carte de fille publique, car les pro-