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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/119

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Le point de départ reste kantien pour Schopenhauer et pour Nietzsche. Le monde n’existe pour nous que dans la représentation que nous en avons. Il se projette pour nous sur l’écran intérieur de la conscience. Il se construit dans le temps et dans l’espace selon les lois de la causalité. Or, ni le temps ni l’espace n’existent en eux-mêmes, ni la loi de la causalité n’existe ailleurs que dans la pensée qui joint les représentations successives et simultanées. Il est possible de créer l’ordre rationnel dans les images qui fourmillent sous notre regard intérieur ; mais c’est au détriment de la valeur absolue de la connaissance. Il y a séparation rigoureuse entre le monde de notre savoir et le monde des réalités. Ce que nous savons n’est pas réel ; et la réalité, s’il y en a une par delà les phénomènes, n’est pas connaissable par l’entendement.

Il faut, avant de définir le lien entre Schopenhauer et Nietzsche, essayer de classer nettement les principales structures d’esprit métaphysique. De certains esprits sont disposés à se représenter la substance de l’être comme présente en tous les points de l’existence phénoménale. Ils jugent qu’elle y est saisie avec évidence, et touchée par la pensée en chacun de ces points. Spinoza est un tel esprit. Kant et Fichte au contraire se refusent à soulever la mince pellicule des faits que recueille notre sensibilité et qu’elle dispose comme sur le réseau quadrillé des formes préjudicielles de la connaissance. Où ranger Schopenhauer ? Il se rebiffe contre l’idée de l’absolu. Et pourtant, dans son système, la surface de la représentation phénoménale n’est-elle pas bossuée comme de réalités massives que notre connaissance sent présentes sous ce voile imagé à mesure qu’elle le parcourt des yeux et de la main ? Schopenhauer, de la sorte, prend place entre les deux catégories d’esprits. Il croit bornée au monde des phénomènes toute connaissance intellectuelle. Pourtant, à