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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/190

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elle approuve ainsi l’existence de la coutume, sans pouvoir toujours en approuver la teneur.

Une objection grave sans doute peut être faite, et elle n’échappe pas à Pascal. La coutume contraint la nature. Elle est une seconde nature qui détruit la première. Mais la raison ne fait-elle pas partie de notre nature, comme l’instinct ? N’arrive-t-il pas que la nature surmonte la coutume, bonne ou mauvaise ? et ne doit-il pas en être ainsi de la pensée, qui tient tête à toute force irrationnelle ? C’est là la limite de la pensée du xviie siècle. Elle conçoit la variation dans les choses irrationnelles, mais ne peut se représenter la variation du rationnel. Elle ne conçoit pas la raison comme « devenue ». « Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature[1] ». Ne se pourrait-il pas que la raison elle-même fût une accumulation d’habitudes contractées par une expérience séculaire ? Ce sera le point où Nietzsche croira dépasser Pascal ; et on s’expliquera mieux ainsi que la discipline, d’abord incomprise, qui se transmet à nous par tradition, s’imprègne de raison peu à peu[2].

Ce qui importe davantage, c’est que toute cette dialectique pascalienne, dont Schopenhauer avait déjà surpris le secret, cette méthode du « renversement du pour ou contre » ait passé dans Nietzsche tout entière, et soit venue soutenir à merveille sa nouvelle croyance lamarckienne. En matière sociale surtout, la croyance vulgaire se dissout au regard de la pensée savante. Mais la pensée savante ne résiste pas à l’épreuve de la pratique ; et il faut

  1. Pensées, III, L. 13.
  2. Menschliches, posth., § 69 (XI, 36) : « Das was herkömmlich ist, wird mit Vernunft nachträglich gleichsam durchsickert. »