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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/194

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cit. Une seule prière peut s’échapper des lèvres du croyant ainsi élevé. « Faites, mon Dieu, que j’adore en silence l’ordre de votre Providence adorable sur la conduite de ma vie… Je ne vous demande ni santé ni maladie, ni vie ni mort ; mais que vous disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort pour votre gloire[1]. » Dans cette purification du cœur renouvelé, Dieu nous parle. Pascal, à ces moments de contrition, a eu le sentiment d’un voisinage divin qui équivalait à la plus douce vision mystique. Il engage avec le Sauveur des colloques d’une tendre intimité ; et dans l’abîme de la souffrance, Jésus vient le relever:« Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé. Je te suis plus ami que tel et tel[2]. » Dialogues dont Nietzsche disait qu’ils ont « la plus touchante et la plus mélancolique grâce qui ait jamais trouvé des paroles »[3].

Aucune attitude de Pascal ne marque plus fortement leur affinité. Nietzsche n’a pas été moins indifférent que Pascal à la richesse et aux considérations de rang; et il aura le même besoin de réhabiliter l’ordre social anéanti par ses négations. « Malheureux ! s’écriera-t-il : pour agir, il te faut croire à des erreurs, et tu agiras selon ces erreurs même quand tu les auras reconnues comme telles[4]. » Dans cette liberté d’esprit si détachée de tout et même de la chimère du vrai, il se sentira pareillement seul. Mais dans cette solitude, et terrassé par une souffrance qui a égalé celle de Pascal, il saura bénir cette souffrance. Avoir le goût de l’action, c’est encore se fuir, pensera--

  1. Pascal, Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, §§, 11, et les Lettres à Mlle de Roannez, §5 : " J’essaie autant que je puis de ne m’affliger de rien, et à prendre tout ce qui arrive pour le meilleur. »
  2. Pascal, Le mystère de Jésus, g 2.
  3. Morgenrölhe, posth., § 425 {XI, p. 319).
  4. Fröhliche Wissenschaft, posth., § 484 (XII, 224).