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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/228

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au même niveau d’influence nocive deux causes de la dégradation humaine : « l’établissement de la secte nazaréenne et la féodalité[1]. »

Nietzsche ne l’a suivi que dans la condamnation de la « secte nazaréenne », et encore a-t-il modifié les termes du verdict. À coup sûr, il a voulu, lui aussi, comme Chamfort, qu’on « redevint Grec et Romain par l’âme », Mais dans les Grecs et les Romains, Chamfort avait aimé une humanité moins encombrée de préjugés sombres et fumeux et un goût plus vif des natures intellectuellement fortes. Nietzsche, s’il a certes mésestimé les chrétiens pour cette idée lugubre qu’ils se sont faite de la vie, sur laquelle depuis eux ne cesse plus de planer l’ombre du péché, il les a haïs davantage pour cette grande corruption de la pitié qu’ils ont fait régner et qu’il jugeait propre à sélectionner des dégénérés. Selon lui, non seulement la morale chrétienne est une morale de troupeau, mais elle est la doctrine où le troupeau légifère et fait triompher son ressentiment, la conscience de sa bassesse et sa haine du soleil et de la joie.

Au reste, sur la prodigieuse tyrannie du préjugé social, Chamfort et Nietzsche sont d’accord. Si l’on transposait leurs aphorismes de la prose de l’un dans celle de l’autre, il faudrait cependant quelques précautions. Des termes semblables ne désignent pas chez eux la même réalité sociale. Chamfort se représente la cour et la ville, en France, au xviiie siècle, la lutte des intérêts, le heurt des vanités qui se croisent dans ce qu’on appelle le monde[2] ; et c’est cette société polie qu’il raille pour ses coutumes désuètes, ses « étiquettes » ridicules, toutes placées sous la protection de ce mot : c’est l’usage[3].

  1. Maximes et Pensées, p. 68.
  2. Maximes et Pensées, p. 301.
  3. Ibid., p. 306.