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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/293

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dégagé de prévention idéaliste. Surtout il faut éviter de regarder les Grecs avec un esprit façonné par le classicisme allemand. Voilà certes par où Burckhardt a été l’éducateur de Nietzsche. L’idée scolaire qu’on se fait des Grecs d’après Winckelmann et Gœthe est une image noble et fausse. L’importance des Grecs est assez grande pour qu’on essaie de les connaître tels qu’ils furent, avec tous leurs défauts. Il n’y a de continuité de la pensée et de la civilisation que depuis les Grecs. C’est pourquoi tout esprit préoccupé du problème de la civilisation doit prendre dans l’hellénisme son point de départ. Pourtant les Grecs ont péri brusquement, après la plus courte et la plus riche floraison. Quelle étude pour qui veut savoir ce qui assure la durée et ce qui fait la qualité d’une civilisation !

I. Le pessimisme des Grecs. — Le vice de méthode introduit par Winckelmann a été de se représenter la vie grecque d’après les monuments figurés de la courte période péricléenne. À cette erreur s’en ajoute une autre qui venait des poètes : Gœthe ou, avant lui, Lessing et Voss, et tous ceux qui avaient créé et répandu ce mythe d’une affinité mystérieuse et sacrée (ἱερός γάμος) de l’esprit allemand et de l’esprit grec, s’étaient construit leur notion de l’hellénisme d’après Homère et la forme sophocléenne de la tragédie. Ils ont construit ainsi la doctrine de la « sérénité grecque ». C’est cette doctrine que Burckhardt prétend contrôler par une revision totale des documents. Il ne s’est fié à aucun dépouillement fait avant lui. « Nous ne pouvons découvrir que nous-mêmes et seuls ce qui répond à notre préoccupation. » Bientôt on s’aperçoit que Burckhardt, lui aussi, aborde les textes avec une hypothèse : « Nul répertoire de citations ne peut remplacer la combinaison chimique qu’un texte découvert par