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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/381

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développent avec les idées. » Il se peut aussi inversement que les idées se développent avec les sentiments. Au grand rythme de la réflexion humaine, qui veut que la pensée coutumière se dissolve dans le doute, et que du doute sorte l’affirmation rationnelle, se joint ainsi un profond accompagnement d’émotions. Le sentiment coutumier se dissout dans la froideur ou succombe aux attaques d’une indignation qui annonce un nouveau mysticisme où elle aboutira. Cette cadence régulière, Nietzsche la retrouve dans chacune des Renaissances qui ont marqué l’histoire des civilisations.

L’occasion se trouva de mettre à l’épreuve cette généralisation, quand Nietzsche réfléchit sur la grande crise qui remplit le XIXe siècle à son déclin. L’Allemagne vivait dans la certitude que, de Gœthe à Hegel, elle avait eu une Renaissance, qui, par Richard Wagner, serait bientôt suivie d’une Renaissance nouvelle, Nietzsche avait partagé cette enthousiaste croyance. Brusquement la foi lui manqua. Il sentit que, Gœthe mis à part, ni le classicisme ni le romantisme allemands ne soutenaient la comparaison avec la culture française plus ancienne. Le renouveau de poésie philosophique et de romantisme musical qui se produisit vers 1876 résisterait-il mieux ?

À l’examen, Nietzsche y découvre de la vulgarité, de l’impuissance, et infiniment de préjugés dignes de cette foule qui s’éprit de wagnérisme. Il s’aperçut que, au contraire, la philosophie des lumières, héritage du XVIIIe siècle, n’avait pas nécessairement l’aspect grossier qu’elle revêtait chez les vulgarisateurs allemands de 1870, tels que David Strauss. Il fallait donc reprendre à nouveau la besogne sceptique où l’avaient laissée les Français les plus courageux et les plus délicats.

Cette besogne est tragique : l’effroi de Pascal saisit qui la tente. Une tristesse éternelle est le lot, disait Fonte-