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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/117

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redouble à chaque jour de l’année…[1] Cette liaison poétique aurait sans doute duré longtemps, conformément aux mœurs d’alors, si les médisants n’avaient perdu le poète dans l’esprit de son seigneur. Èble de Ventadour lui témoigna son mécontentement par sa froideur et Agnès finit par lui demander de s’exiler. Il semble sur le moment qu’il ait pris d’assez bonne humeur l’aventure et que le souvenir de son amour l’ait emporté sur son chagrin. Espérait-il peut-être, après quelque temps, voir s’affaiblir le ressentiment de son maître et revenir auprès de celle qui ne lui avait demandé de s’éloigner que contrainte et forcée ? De toute manière il ne paraît pas avoir renoncé à l’espoir du retour, si on en juge par le début de la chanson suivante. Il y exprime en termes enthousiastes la joie que lui cause son amour ; on remarquera en même temps les curieux conseils et les étranges consolations qu’il donne à sa dame, gardée sévèrement par le mari jaloux.

Quand paraît la fleur sous la feuille verte et que je vois le temps clair et serein, quand le doux chant des oiseaux dans le bois m’adoucit le cœur et me ranime, puisque les oiseaux chantent à leur manière, moi qui ai plus de joie qu’eux en mon cœur, je dois bien chanter, car tous mes jours sont joie et chant, et je ne pense à nulle autre chose.

Voici la strophe la plus curieuse.

Dame, si mes yeux ne vous voient, sachez que mon cœur vous voit ; ne vous affligez pas plus que je ne m’afflige, car je sais qu’on vous surveille à cause de moi ;

  1. « Depuis que nous étions enfants… » C’est l’âge aussi où Dante commença à aimer Béatrice.