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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/123

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nuirait à la tranquillité de notre troubadour. Après quelques années de séjour auprès d’Éléonore il fut obligé de partir — et probablement pour les mêmes raisons qui l’avaient fait quitter quelques années auparavant le château de Ventadour. Les médisants[1], dont il se plaignit toute sa vie, eurent sans doute quelque part dans cette disgrâce. C’est du moins ce que nous pouvons conjecturer d’un passage d’une de ses chansons. Il y loue avec l’exagération habituelle des troubadours la beauté et les charmes de la gaie souveraine qu’il est obligé de quitter — et il y exprime ses sentiments amoureux avec sa grâce et aussi son afféterie coutumières.

Par le doux chant que fait le rossignol, la nuit quand je suis endormi, je me réveille tout éperdu de joie, l’âme pleine de rêves amoureux ; car ce fut la seule occupation de ma vie d’aimer la joie et c’est par la joie que commencent mes chants.

Si l’on savait la joie que j’ai et si je pouvais la faire entendre, toute autre joie serait bien petite en comparaison de la mienne. Tel se vante de la sienne et croit être riche et supérieur en amour parfait qui n’en a pas la moitié comme moi.

Je contemple souvent par la pensée le corps gracieux et bien fait de ma dame, si distinguée par sa courtoisie et qui sait si bien parler. Il me faudrait un an entier, si je voulais dire toutes ses qualités, tellement elle a de courtoisie et de distinction.

Dame, je suis votre chevalier et je le serai toujours, toujours prêt à votre service — je suis votre chevalier par serment ; vous êtes ma première joie et vous serez la dernière, tant que ma vie durera.

Ceux qui croient que je suis loin d’elle ne savent pas

  1. Sur les nombreuses allusions aux médisants (lauzengiers) cf. Pätzold, Die individuellen Eigenthümlichkeiten einiger hervorragender Trobadors, § 79.