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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/139

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tournés vers le pays où elle habite et je parle constamment en mon cœur de celle à qui mon cœur s’est donné.

Le chant du rossignol n’a plus pour moi de charmes, tant j’ai le cœur morne et triste. Et cependant je m’étonne qu’Avril ne m’ait pas réjoui ; car c’est l’époque où d’ordinaire ma joie redoublait. Mais aujourd’hui ne me plaisent ni la fleur ni les fruits qui pendent aux rameaux.

Les messagers qui m’ont cherché me feront mourir de tristesse. Ah ! s’ils savaient combien une petite maison vaudrait mieux ici que là-bas un grand palais ! Leurs entretiens me sont une peine et il me semble que je serai déshonoré si je reviens avec eux dans ma contrée.

Je ne crois pas qu’on ait jamais vu qu’un homme s’exile dans sa propre patrie. Mais ma dame est si dure pour moi ! et le retour dans ma patrie m’est une si grande peine ! Plus ma renommée augmente là-bas, plus je souffre. Ma honte et ma crainte redoublent chaque fois[1].

Un trait caractéristique de la manière de Giraut de Bornelh c’est une tendance à exposer ses pensées sous forme dialoguée. Il se dédouble pour ainsi dire, s’adresse les questions et se fait les réponses ; le monologue devient ainsi une sorte de dialogue et prend une allure dramatique. Il y a là un procédé curieux et qui produit souvent une impression remarquable de vie et de mouvement. Seulement le danger est grand et l’abus facile. Ce procédé n’est vraiment dramatique que quand la passion s’exprime avec force et éclat, comme il arrive souvent dans les monologues tragiques ; réduite à cet emploi, cette sorte de conversation intérieure dont le poète nous rend témoin garderait comme un reflet de la vie du cœur. On sent trop souvent chez Giraut de Bornelh,

  1. id., no 19.