Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/253

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bien légèrement, eu égard à son mérite, des éminentes qualités de ma dame.

Un ange invoqua Dieu en disant : « Sire, on voit au monde une merveille dont les manières nobles et gracieuses procèdent d’une âme dont la splendeur s’élève et parvient jusqu’ici. » Le ciel, à qui il ne manquait rien que de la posséder, la demanda à son seigneur, et chaque saint la réclame par ses prières. La seule pitié plaide ma cause dans le Ciel ; en sorte que Dieu, sachant qu’il s’agit de ma dame, dit : « Ô mes bien-aimés ! souffrez tranquillement que celle que vous désirez de voir reste autant qu’il me plaira là où il y a quelqu’un (Dante) qui s’attend à la perdre, et qui dira aux damnés dans l’enfer : « J’ai vu l’espérance des bienheureux. »

Ma dame est désirée dans le plus haut des cieux. Maintenant je veux vous faire connaître quelque chose de son mérite et je dis : toute dame qui veut prendre des manières nobles doit aller avec elle, parce que, quand elle s’avance quelque part, Amour jette aussitôt une glace sur les cœurs corrompus, qui frappe et détruit toutes leurs pensées. Celui qui serait exposé à la voir ou s’ennoblirait ou mourrait ; et quand elle rencontre quelqu’un digne de la regarder, celui-là éprouve toute la puissance de ses vertus ; et s’il lui arrive qu’elle l’honore de son salut, elle le rend si modeste, si honnête et si bon, qu’il va jusqu’à perdre le souvenir de toutes les offenses qu’il a reçues. Cette dame a encore reçu une grâce particulière de Dieu ; car la personne qui lui a adressé là parole ne peut pas mal finir…

Cette chanson, jointe aux deux sonnets qui précèdent, et aux chansons de Guido Guinicelli, nous montre quelle est la conception que les poètes de l’école du dolce stil nuovo se font de l’amour. La dame chantée par eux devient de plus en plus une pure abstraction. C’est précisément la même transformation qui s’est produite chez les troubadours de