Aller au contenu

Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il se privait[1] de lire les poètes italiens de son temps pour ne pas tomber dans l’imitation ; sans doute aussi la passion que lui inspira Laure suffisait à émouvoir son âme de poète. Mais ce n’est pas impunément qu’il avait étudié les troubadours et ce n’est pas au hasard que sont dues les nombreuses analogies avec leur poésie qu’on a relevées depuis longtemps dans son œuvre.

D’où est tiré par exemple le couplet suivant, d’une chanson de troubadour ou de Pétrarque : « L’amoureuse pensée qui habite en mon cœur vous montre si vivement à mes yeux qu’elle chasse de mon esprit toute autre joie. C’est elle qui m’inspire ces actions et ces paroles, qui, je l’espère, me rendront immortel, malgré la mort de cette chair… Si quelque beau fruit naît de moi, c’est de vous qu’en vient la semence ; de moi-même je ne suis qu’un terrain desséché ; toute culture me vient de vous, à vous en revient le mérite[2]. » Le passage suivant est emprunté à un troubadour et on y retrouve une pensée qui est devenue un lieu commun dans la poésie provençale : « Vous réunissez en vous toute courtoisie ; il n’est homme si vilain qui devant vous ne se sente ennobli » ; même pensée dans Pétrarque, exprimée d’ailleurs avec plus de grâce : « Qu’est devenu ce beau visage, cet aimable regard, cette démarche si fière et si noble ? Qu’est devenu ce parler qui rendait humble le cœur le plus farouche et le plus dur, et qui d’une âme vile faisait une âme généreuse ? » On sait la place que tiennent soupirs et

  1. « Il se privait… » Cf. Gaspary, Storia della lett. ital., p. 296.
  2. Cette citation et celles qui suivent sont empruntées à l’ouvrage de Gidel, p. 109, 121, 130.