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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/283

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le poète se déclare serviteur de sa dame, son cœur est en son pouvoir, mais il n’obtient aucune récompense de son service amoureux. Chrétien de Troyes, dont le talent dans la poésie lyrique est fait de finesse et d’ingéniosité, a mis à orner ces lieux communs toutes les ressources d’un esprit singulièrement fin et délié.

Enfin un des poètes où se reflète le mieux la poésie des troubadours est le châtelain de Couci. On jugera de son talent par la traduction suivante de quelques-unes de ses chansons.

La douce voix du rossignol sauvage que j’entends nuit et jour retentir m’adoucit et m’apaise le cœur et me donne envie de chanter pour me réjouir. Je dois bien chanter puisque cela fait plaisir à celle à qui j’ai fait hommage de mon cœur — et je dois avoir grande joie en mon âme, si elle veut me retenir à son service.

Envers elle je n’eus jamais un cœur faux ni volage ; et cependant il devrait m’en venir plus de bonheur ; mais je l’aime, je la sers et je l’adore toujours sans oser lui découvrir ma pensée ; car sa beauté me cause un tel éblouissement que devant elle je perds la parole ; je n’ose regarder son visage ; tellement je redoute le moment où j’en retirerai mes yeux.

J’ai si bien mis en elle tout mon cœur que je ne pense à aucune autre ; jamais Tristan, celui qui but le breuvage, n’aima plus loyalement. Je mets tout à son service, cœur, corps et désir, sens et savoir, et je ne sais si en toute ma vie je pourrai assez la servir, elle et amour.

J’aime bien mes yeux qui me la firent choisir ; dès que je la vis, je lui laissai en otage mon cœur qui depuis y a fait un long séjour et je ne lui demande jamais de la quitter.

Chanson, va-t’en pour porter mon message là où je