Aller au contenu

Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prince de Blaye, fut le héros. Voici ce récit dans sa sèche brièveté

« Jaufre Rudel, prince de Blaye, s’enamoura de la princesse de Tripoli, sans la voir, pour le grand bien et la courtoisie qu’il entendit dire d’elle aux pèlerins qui revenaient d’Antioche. Il fit sur elle mainte belle poésie avec de belles mélodies. Pour aller la voir il se croisa et s’embarqua. Mais quand il fut en mer, une grave maladie le prit ; si bien que ses compagnons pensaient qu’il mourrait sur le navire. Ils firent tant cependant qu’ils l’amenèrent à Tripoli et le déposèrent en une auberge, comme mort. On avertit la comtesse, qui vint à son chevet et le prit entre ses bras. En la voyant, il recouvra la vue, l’ouïe et l’odorat ; et il loua Dieu et le remercia d’avoir soutenu sa vie jusqu’à ce moment. Il mourut ainsi entre les bras de la comtesse. Elle le fit ensevelir avec honneur dans la maison des Templiers et entra dans les ordres le même jour, pour la douleur qu’elle éprouva de sa mort[1]. »

Telle est cette romanesque histoire. Elle n’a pas manqué de frapper les historiens et les poètes, depuis Pétrarque jusqu’à l’auteur de la Princesse lointaine, jusqu’à Carducci et Gaston Paris, en passant par Uhland, Swinburne et autres. Henri Heine en a senti toute la poésie et l’a admirablement rendue dans une des plus belles pièces de son Romancero. On peut se douter par avance de tout ce que l’imagination du poète romantique a su ajouter au simple récit du vieux chroniqueur.

Dans le château de Blaye, on voit à la muraille de tapisseries que la comtesse de Tripoli broda jadis de ses mains sages.

  1. Sur la légende de Jaufre Rudel, cf. G. Paris, Jaufre Rudel, Rev. hist., t. LIII, p. 225 et suiv.