Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/55

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descort ou lai, s’avance le plus possible… L’un touche la harpe, l’autre la viole ; l’un joue de la flûte, l’autre siffle… l’un joue clé la musette, l’autre de la flûte ; l’un de la cornemuse, et l’autre du chalumeau. L’un joue de la mandore, l’autre accorde le psaltérion avec le monocorde. L’un fait le jeu des marionnettes, l’autre le jeu des couteaux ; l’un se jette à terre et l’autre saute, l’autre danse avec sa bouteille… »

Si nous avons ici un tableau de fantaisie, les traits en sont empruntés à la réalité. Les musiciens dominent dans cette assemblée de jongleurs ; mais les bateleurs n’y manquent pas. La poésie seule paraît être une de leurs moindres préoccupations.

Dira-t-on que ce tableau représente plutôt les mœurs de la France du Nord, et que les jongleurs que fréquentent les troubadours ne ressemblent en rien à ceux-ci ? Détrompons-nous : nous avons d’autres témoignages. Des troubadours ont pris la peine de composer en vers, vers médiocres sans doute, mais précieux par leur contenu, des codes du parfait jongleur. Voici quelques extraits d’un de ces « enseignements » (c’est le nom qu’ils portent dans la poésie provençale)[1]. Le poète reproche au jongleur de ne pas savoir jouer de la viole et de chanter encore pis, du commencement à la fin. « Celui-là fut un mauvais maître, qui t’enseigna à remuer les doigts et à conduire l’archet. Tu ne sais ni danser, ni bateler, à la manière d’un jongleur gascon. Je ne t’entends dire ni sirventés, ni ballade, ni retroencha,

  1. Sur ces ensenhamens, cf. notre étude citée plus haut, p. 131. Le premier et le plus ancien de ces ensenhamens, auquel est empruntée la citation qui suit, est de Guiraut de Cabreira, noble catalan contemporain de Bertran de Born et de Peire Vidal.