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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/73

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sement, et, après quelques compliments, lui offre son amour. La conversation s’engage et elle se développe suivant la fantaisie du poète. Le début et le dénouement sont seuls conventionnels. Un exemple emprunté à un des plus anciens troubadours, Marcabrun, montrera ce que peut donner ce genre. Le troubadour, à cheval, a rencontré une bergère.

Je pousse mon cheval vers elle :
« Que ne puis-je arrêter, la belle,
La bise qui vous échevèle !
— Sire, me répond la vilaine,
Si le vent souffle et me hérisse,
Je dois au lait de ma nourrice
De ne point trop m’en mettre en peine.

— Sans médire de votre mère,
La belle, il pourrait bien se faire
Que quelque chevalier fût père
D’une aussi courtoise vilaine.
Votre regard est un sourire ;
Plus je vous vois, plus je soupire
Mais vous être trop inhumaine.

— Non, non, sire, je suis la fille
De gens dont toute la famille
N’a manié que la faucille
Ou le hoyau, dit la vilaine.
J’en sais un qui vante sa race,
Et qui devrait suivre leur trace
Six jours ou sept dans la semaine.

— Fille aussi farouche que belle,
Je sais un peu, quand je m’en mêle,
Apprivoiser une rebelle.
On peut, avec telle vilaine,
Faire amour loyal et sincère,
Et vous m’êtes déjà plus chère
Que la plus noble châtelaine.