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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/85

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droits ; les unes et les autres forment une sorte de code du parfait amant. Le code est sévère et les lois rigoureuses ; il faut se soumettre à leur discipline ; on n’y déroge pas sans danger[1].

Les amants se comportent vis-à-vis de l’amour, comme un vassal vis-à-vis de son suzerain. Il existe un service d’amour, comme il existe un service de chevalerie. L’amant devient l’homme-lige de la personne aimée, ou même d’amour personnifié ; il accomplit ses volontés, obéit à ses ordres, exécute ses moindres caprices. Être amoureux, dans la poésie des troubadours, c’est s’engager par un serment, comme un chevalier. On accepte tous les liens rigoureux qu’un serment de ce genre impose conformément aux mœurs du temps. Pas plus que le chevalier l’amant n’est un esclave et il garde sa noblesse ; mais il est un vassal et à ce titre dépend, corps et âme, de son suzerain qui peut en disposer à son gré, sans rendre de comptes à personne. Le « vasselage amoureux » est une invention des troubadours provençaux ; elle porte la marque du temps et les deux termes de cette expression caractérisent l’esprit et les mœurs de cette époque.

C’est ainsi que Bernard de Ventadour dit à sa dame : « Je suis, dame, votre sujet, consacré pour toujours à votre service, votre sujet par paroles et par serment. » Peire Vidal, avec son exagération habituelle, dit à la sienne : « Je suis votre bien, vous pouvez me vendre ou me donner. » « Je vous appartiens, proclame un autre, vous pouvez me tuer, si

  1. Sur le « vasselage amoureux », cf. un excellent article de M. E. Wechssler, Frauendienst und Vassalität, dans Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, XXIV, 1, 159-190.