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Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/90

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entrât dans les ordres ; comme nous l’avons fait observer dans un précédent chapitre, le nombre des troubadours qui finirent ainsi leur vie est assez élevé.

Ce n’est pas qu’ils fussent très exigeants en amour ; ils se contentaient de peu, ils l’assurent du moins[1]. La plupart demandent à leur dame de les agréer pour leur serviteur, sans plus, d’accepter leurs hommages poétiques. Quelques-uns sont plus précis dans l’expression de leurs désirs ; certaines demandes sont remarquables de naïveté et, parfois, de crudité. Mais en général les vœux sont timides et modestes ; ceci aussi est de règle. Les amants mal appris manquent seuls de la discrétion et de la retenue nécessaires. N’oublions pas que la dame aimée est, au sens plein du mot, une « maîtresse » à la disposition de laquelle le poète est corps et âme et dont il faut gagner les faveurs.

Aussi quelle n’est pas la timidité et la gaucherie du troubadour amoureux quand la dame aimée daigne enfin agréer ses vœux et l’admettre devant elle ! Il en est peu qui ne perdent la parole et même le sentiment. Rigaut de Barbezieux nous fait connaître ses impressions « Je suis semblable à Perceval, qui fut saisi d’une telle admiration à la vue de la lance et du Saint Graal, qu’il ne sut demander à quoi ils servaient ; ainsi quand je vois, dame, votre joli corps, je m’oublie à le considérer avec admiration ; je veux vous adresser une prière et je ne puis : je rêve. » « Il m’arrive souvent, dit le troubadour

  1. Cf. P. Vidal : « le présent d’un simple cordon que m’a accordé la belle Raimbaud me rend plus riche à mes yeux que le roi Richard lui-même avec Poitiers, Tours et Angers ». Cf. encore de Guillaume de Saint-Didier : « cependant elle pourrait me rendre heureux, si elle m’accordait seulement l’un des cheveux qui tombent sur son manteau, ou l’un des fils qui composent son gant ». Cité par Raynouard, Des Troubadours et des Cours d’amour, p. xiv.