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Page:Anglas de Praviel - Scènes d’un naufrage ou La Méduse.djvu/102

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Dans la seconde nous placerons les hommes vigoureux, infatigables, mais sans éducation, imprévoyants, ne pouvant disposer du vin, qui était déposé sur cette machine, qu’avec la permission de ceux qui le tenaient près d’eux, de plus, se trouvant placés sur les parties les plus exposées aux vagues et n’offrant que très-peu de solidité.

Que l’on se figure cent vingt personnes, sur cent cinquante, debout, très-serrées, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, ne pouvant faire aucun mouvement ; leurs pieds sur des pièces de bois auxquelles la force des vagues imprimait le même mouvement que font deux cylindres qui se contrarient ; et l’on aura une juste idée de cette horrible position, à laquelle il est impossible de résister quelques heures.

D’un côté, les tortures du corps, et de l’autre la soif et la faim, ne tardèrent pas à amener des scènes de désordre qui, bientôt, se changèrent en scènes de destruction.

Les douleurs les plus aiguës, les privations les plus difficiles à supporter, ne tardèrent pas à soulever, chez ces malheureux, le plus affreux désespoir. Dégagés de tout frein, par le sentiment impérieux de la conservation ; ils oublient Dieu, s’oublient eux-mêmes. Ils commencent à s’entre-tuer les uns les autres, pour prolonger un reste d’existence, et dans l’espoir, qu’en allégeant le radeau ils auront moins à souffrir de la submersion.