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Page:Anglas de Praviel - Scènes d’un naufrage ou La Méduse.djvu/13

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avait fait disparaître toute espérance de salut ; il n’est pas étonnant, alors, que cette position désespérée ait paralysé les ressources de ceux auxquels avait été confiée notre existence.

Deux des naufragés de la Méduse, premier, M. Savigny, homme courageux et énergique, chirurgien de 3me classe à bord de la frégate ; le second, M. Correard, passager, allant explorer des terres sur la presqu’île du Cap-Vert, s’imposèrent, dans le temps, la tâche pénible de faire connaître au monde civilisé le détail de nos malheureuses aventures. Soit qu’ils fussent encore sous l’impression des maux qu’ils venaient d’endurer, ou qu’ils se soient laissé entraîner par une fausse prévention contre ceux qui ne partageaient pas leurs sentiments, ils dénaturèrent les faits les plus importants.

Avant de mettre le pied dans la tombe, avant que les derniers souvenirs de ce naufrage aient entièrement disparu, il est de mon devoir de faire connaître à mes enfants, à mes amis, ainsi qu’à mes concitoyens, des faits aussi étrangement défigurés, de les montrer tels que je les ai mis, et tels que la vérité en placera les impressions encore palpitantes sous ma plume. Loin de moi la pensée d’imiter M. Correard ; il y a pour les gens de bien une religion commune, celle du respect dû au malheur. Je resterai donc ce que je dois être envers tous mes compagnons d’infortune, c’est-à-dire, équitable et généreux.