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Page:Anglas de Praviel - Scènes d’un naufrage ou La Méduse.djvu/67

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Les premiers soins de M. Karnet furent donnés à notre nourriture ; il partagea avec moi deux petits pains de sucre et quelques pains américains. Il fit ensuite distribuer aux soldats et aux matelots quelques onces de riz ; ceux-ci n’ayant pas eu la patience de le faire cuire, le mangèrent cru, et s’exposèrent ainsi à de fortes indigestions.

Cette première leçon fut perdue pour eux ; ils mangèrent la viande coriace d’un bœuf qu’ils avaient tué ; des coliques très-fortes et des vomissements, qui durèrent près de deux heures, furent le résultat de cette imprudence. La manière dont nous avons fait cuire ce bœuf est assez curieuse pour être rapportée ; nous la tenions des Maures qui nous accompagnaient : Nous commençâmes par faire un creux dans le sable et par le faire bien chauffer. Cette première opération terminée, nous jetâmes dans ce creux le bœuf, après en avoir enlevé la peau et les entrailles. Nous le recouvrîmes de sable, et nous fîmes un nouveau feu.

Ainsi cuit, le bœuf fut distribué ; plusieurs de nous en mangèrent plus de six livres. Un Italien, entr’autres, en mangea avec tant de voracité, que le lendemain, il ne pouvait faire aucun mouvement ; son ventre énorme, ses gros soupirs, et les contorsions qu’il faisait pour se lever, nous égaient un instant ; on le soulève et on l’aide à marcher.