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Page:Anicet, Ponson du Terrail, Blum - Rocambole-IA.djvu/74

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te trompes, j’ai un faible pour toi ; il faut bien passer quelque chose à la jeunesse !

ROCAMBOLE.

Tuez-moi, mais ne me raillez pas.

LE DOCTEUR.

Mets-toi là près de moi, et causons comme de bons amis que nous étions.

ROCAMBOLE.

Oh ! tenez, ne jouez pas avec moi comme le tigre avec sa proie.

LE DOCTEUR.

Décidément, quand tu as peur, tu n’es qu’un sot. Rassure-toi ! quel créateur a jamais voulu détruire son œuvre ? Et tu es mon œuvre, à moi ; tu es même mon chef-d’œuvre… Mets-toi là, le dis-je ! vrai, ça me fait plaisir de le voir… Ingrat ! tu ne m’as pas encore demandé comment je m’étais tiré du petit embarras dans lequel tu m’avais laissé.

ROCAMBOLE.

Vous êtes donc invulnérable ?

LE DOCTEUR.

Et insubmersible, oui, mon cher !… Après avoir tourné dans le gouffre où tu avais fait couler la barque, la force même du tourbillon m’a ramené à la surface de l’eau. J’ai été repêché par de joyeux canotiers qui, fort embarrassés de ma personne, m’ont conduit à l’hospice… Je ne tardai pas à revenir à moi… Dans la même salle, dans le lit voisin du mien, un pauvre diable délirait ; vois comme on se retrouve ! c’était précisément une connaissance à nous… Je te parlerai de cette étrange et heureuse rencontre tout à l’heure. Laisse-moi te dire d’abord, mon cher ami, que, lorsqu’on fouille un secrétaire, il faut savoir y trouver tout ce qu’on y a serré ; tu as pris chez moi les pièces qui prouvaient l’existence du comte de Chamery ; mais tu as négligé d’y chercher certains papiers qui prouvent jusqu’à la dernière évidence que tu n’est, toi, que Joseph Fippart… oh ! voilà un oubli qui sent fort l’écolier, tu as encore besoin d’une leçon et je te la donnerai.

ROCAMBOLE.

Ah ! nous y voilà, le tigre va montrer ses griffes.

LE DOCTEUR.

Non ! ton vieil ami te tend la main. Si la vengeance est le plaisir des dieux, l’intérêt est le premier mobile des hommes. Je pourrais te perdre pour me venger, j’aime mieux te sauver pour m’enrichir…